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Pourquoi Le radeau de la Méduse de Géricault a inspiré tant d’artistes ?

11 August, 2021
Le radeau de la Méduse de Géricault est célèbre depuis sa première exposition et en a inspiré plus d'un. Voici l'histoire d'un tableau hors du commun.

Géricault, Le radeau de la Méduse, est une oeuvre édifiante à l'histoire sombre. Max Ernst, Vik Muniz, Sandra Cinto, Louise Fishman et Kristine Baker en ont crées leurs propres versions. Martin Kippenberger peignit une grande collection d’auto-portraits basé sur ce tableau. Paul MacCarthy disait que c’était son tableau préféré. Frank Stella, Jeff Koons et Peter Saul ont crées chacun leur interprétation de cette icône du romantisme.

 

Pourquoi Le radeau de la méduse, de Géricault, à-t-il captivé l’imagination de tant d’artistes contemporains ?

Quand Géricault exposa pour la première fois Le radeau de la Méduse au Salon de 1819, à Paris, à l’âge de 27 ans, les critiques n’y virent qu’une pile de corps repoussants. Pour un artiste respecté, traiter un sujet aussi abjecte – les survivants d’un naufrage en train de mourir – avec une telle dignité, était plus que choquant pour l’époque.

 

Les formats de cette taille (491 x 716 cm) étant souvent réservés pour dépeindre des scènes héroïques et des narrations historiques, religieuses ou de la mythologie classique. Mais le tableau, qui est exposé au Louvre depuis 1824, année de la mort de l’artiste, a toujours plus d’admirateurs que de détracteurs, et il reste d’actualité, 200 ans plus tard.

 

De nos jours on pourrait l’interpréter comme un rappel gênant de bateaux qui ont chavirés et laissés des centaines de migrants à la mer Méditerranée, et la triste réalité qu’est la crise des réfugiés.

 

L'histoire du Radeau de la Méduse

Le tableau représente un moment d’espoir dans la tragique saga de la Méduse, un navire royal Français qui s’échoua sur les côtes Ouest-Africaines en 1816, au cours d’une mission qui visait à reprendre le Sénégal aux Britanniques, après les guerres Napoléoniennes.

 

Après avoir heurté un banc de sable, le capitaine embarqua dans les canots de sauvetages tout ce qu’il y avait d’officiers, de politiciens et autres personnes jugées dignes d’êtres sauvées, et ordonna la construction d’un radeau pour les 147 autres passagers (dont une femme) fait de morceaux de récupération du bateau en train de couler.

 

Les canots tirèrent brièvement le radeau jusqu’à ce que le capitaine, dans un acte de couardise et de cruauté, en coupe les cordes pour favoriser le secours des personnes étant sur les canots de sauvetage. Quand le radeau fut retrouvé, 13 jours plus tard, il ne restait que 15 survivants sur les 147 personnes à bord.

 

Un scandale international éclata lorsque le public appris la nouvelle ; Géricault y porta de suite un grand intérêt. Il s’entretint avec deux survivants du Radeau de la Méduse, et visita la morgue pour étudier des cadavres. Il créa de nombreux croquis préparatoires, tout en creusant de manière obsessive les détails de l’accident. Au fur et à mesure que l’on découvrait les détails de cette histoire sordide, les rapports devenaient plus horrible les un que les autres.

 

Comme le veut la légende, les hommes, dans l’eau jusqu’à la taille, recoururent au meurtre et au cannibalisme, buvant leur propre urine pour survivre. Quelques autres auraient sautés à la mer, espérant se faire manger par les requins, pour finalement revenir aussitôt sur le bateau après s’êtres fait piquer par des bancs de méduses.

 

Les interprétations du Radeau de la Méduse

« J’ai choisi ce tableau, en partie parce qu’il y a tellement d’anecdotes insensées à son sujet » dit l’artiste Peter Saul, qui à peint sa version : « Derniers moments du radeau de la Méduse » en 2015. L’oeuvre, faite de couleurs vives, est en fait la seconde version du chef d’oeuvre de Géricault peinte par Peter Saul, la première ayant été crée dans les années 90.

Peter Saul, Les derniers moments du radeau de la Méduse, 2015

À la manière de Saul, le tableau mélange un humour grinçant, un commentaire social, et la tragédie, amenant la scène de Géricault à un niveau comique exagéré. Un personnage, par exemple, avale des intestins roses tout en donnant un compagnon d’infortune à manger à un requin. « J’ai voulu le rendre plus contemporain, mais ma première version faisait trop bande-dessinée pour être vraiment menaçante, je l’ai donc refaite » , dit Saul. « Le but principal étant de créer une peinture intéressante et qui fait plaisir à regarder ».

 

Créer une peinture intéressante était certainement également dans l’esprit de Géricault. Dans une ère pré-photographique, sa composition cinématographique de corps entortillés est ce qui se rapproche le plus d’une documentation de l’incident. L’artiste employe un modelage des formes empruntant au Clair-obscur Baroque tout en restant Michel-Angelesque, pour faire passer un message qui était, en fait, une accusation porté au gouvernement Français.

 

Impact du tableau de Géricault à son l'époque

Le tableau fait reproche de l’incident à la monarchie Bourbon, nouvellement ré-instituée, qui pris le pouvoir après la chute de Napoléon en 1815. Le capitaine à qui l’ont doit le désastre étant un membre inexpérimenté de l’ancien régime, qui a été établi dans ses fonctions grâce à son allégeance à la couronne. En même temps, la décision de l’artiste de se servir d’un Homme à la peau noire pour représenter le personnage qui est le plus porteur d’espoir, fait sans doute référence à la position abolitionniste de Géricault, à un moment où le trafic d’esclave était un sujet bouillant en Europe.

 

« C’est une métaphore très puissante, qui réfère à un état hors de contrôle », dit Ellen McBreen, experte de collection pour le Louvre, « De toutes les grandes peintures du Louvre, Le Radeau de la Méduse de Théodore Géricault est l’une des plus attirantes parce qu’elle est crée par un jeune artiste qui puise son inspiration dans un événement contemporain ; le naufrage était sur toutes les langues, et c’est la première fois qu’un jeune artiste Français fait la critique du régime. » En même temps que l’opposition à la monarchie grandissait, l’appréciation symbolique du Radeau de la Méduse fît de même, et ceci bien longtemps après la mort de l’artiste.

 

Les détracteurs de Géricault – ceux-ci incluant le peintre historique Néo-classique Jacques-Louis David – étaient scandalisés non seulement par le thème peu orthodoxe de l’oeuvre, mais aussi par sa composition radicale.

 

Un critique était par exemple particulièrement décontenancé par son manque de centrage. La structure de l’oeuvre est en effet pyramidale, partant des corps pâles dans le coin inférieur gauche jusqu’au vigoureux pinacle idéalisé de l’espoir, qui agite sa chemise en lambeaux, pour attirer l’attention d’un navire qui n’est qu’un point à l’horizon, dans le coin supérieur gauche. C’est cet enchevêtrement d’émotions qui ressort de la plupart des versions abstraites de la toile.

 

Quelques autres versions modernes de la Méduse de Théodore Géricault

La sculpture de Stella « Radeau de la Méduse, partie I » (1990), par exemple, est une masse énorme toute contorsionnée. Elle fait partie des premières expérimentations de l’artiste avec de l’acier et de l’aluminium, et reproduit de manière brillante la cacophonie du radeau dilapidé, des corps souffrants, et des vagues se cassant sur la structure fragile, composée comme une énorme carcasse.

 

« Vous avez une structure en forme de grille qui soutient les parties fluides des déchets qui flottent en surface. On a l’impression que les matériaux fondus et les câbles s’accrochent à cette grille comme si leurs vies en dépendaient. C’est comme si ils tombaient, explosant, s’accrochant à ce qu’on peut voir comme le radeau, qui est la structure rectiligne derrière lui. » dit le directeur du musée Whitney, Adam Weinberg.

 

Frank Stella, Le radeau de la Méduse Partie 1 - 1990

Pour sa part, Martin Kippenberger repris le thème pour l’exagérer de nouveau à l’extrême, en se substituant aux personnages de Géricault dans une série de 16 tableaux, 19 dessins, 9 photographies, 14 lithographies et un grand tapis tissé qui représente le plan de sol du radeau.

 

Le travail a une approche tordue, expressionniste, du sujet, et la ligne entre l’humour et l’horreur est très ténue, dans la plus pure tradition de Kippenberger.

 

Le thème de la mort imminente est particulièrement poignante dans le cas de l’artiste Allemand. Kippenberger était notoire pour son désir morbide d’autodestruction et réalisa l’ensemble dans l’année qui précéda sa mort d’un cancer du foie. Dans l’une des impressions sur papier de la Méduse, l’artiste boursouflé (à peine idéalisé), apparaît agitant sa chemise comme dans la peinture de Géricault. Mais ici, l’horizon est composé de marques d’alcool…

 

Bien qu’elle semble bien éloignée de la version de Géricault, Le radeau de la Méduse, ce mélange d’humour noir et de sérieux se réfère peut-être aux intentions premières de Théodore Géricault :

créer une œuvre monumentale, sérieuse, avec tous les éléments qui composent un chef d’oeuvre de salon, tout en amenant la société à se questionner elle-même.

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