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La période bleue de Picasso

15 June, 2022
La période bleue de Picasso marque une période éprouvante de la vie de l'artiste le plus connu au monde.

Il est facile d’imaginer un Picasso tout-puissant : un peintre qui a changé l’histoire de l’art, qui peignait sans vergogne en caleçon, et qui répondait aux questions des critiques en tirant en l’air avec un pistolet.

Mais, l'artiste espagnol n’a pas toujours eu autant confiance en lui. En vérité, ses débuts de carrière ont été cousus de tragédies, de pauvreté et de fragilité émotionnelle.

 

 

Le début de la période bleue de Picasso

Tout commença en 1901, alors que Picasso n’avait que 19 ans.

 

À l’époque, il fréquentait un groupe d’artistes radicaux, d’écrivains et d’anarchistes qu’il avait rencontrés pendant ses voyages entre sa ville natale de Barcelone et Paris. Son plus proche compagnon était le poète espagnol Carl Casagemas ; mais leur amitié connu une fin tragique lorsque ce dernier se suicida, d’une balle en pleine tête, au milieu d’un repas, cette année-là, suite à une tragédie amoureuse.

 

« C’est de penser à Casagemas qui a fait que j’ai commencé à peindre en bleu » confiera plus tard Picasso à Pierre Daix, son ami et biographe. La mort de son compagnon l’affecta énormément, et servi de catalyseur pour une série de toiles qu’il commença juste après, toutes caractérisées par des couleurs froides : bleus mélancoliques, gris sombre et verts maladifs.

 

L’une des premières qu’il produisit, La mort de Casagemas (1901), reprend directement le thème du suicide de son suicide. La peinture sur bois montre le profil bleuet vert du poète engoncé dans une couverture blanche. Il paraît presque serein, comme s’il dormait, mais Picasso met le côté tragique de cette toile à nu en peignant le trou causé par la balle fatale, sur la tempe de son ami.

 

Bien avant la mort de Casagemas, Picasso connu la sourde douleur causée par la disparition de proches. En 1895, sa sœur Conchita meurt de diphtérie, et en 1899, le peintre Hortensi Guell, membre d’un cercle auquel appartenait Picasso à Barcelone, se jette d’une falaise. Picasso était aussi au courant du suicide de Vincent Van Gogh en 1890. Les spécialistes suggèrent que les similarités avec le style de Vincent Van Gogh, les coups de pinceaux épais et la palette morne de Picasso dans « La mort de Casagemas » étaient également un hommage à feu Van Gogh.

 

Le deuil de Picasso pour sa sœur, ses amis et le peintre qui était son héros se mêlait à ses propres conflits de création artistiques. Au début de 1901, il n’a pas encore trouvé sa voie en tant qu’artiste, pas plus qu’il n’a vendu assez d’œuvres pour subvenir à ses besoins. Ensemble, ces crises troublent Picasso et forme un ensemble cohérent qui lui suggère que les artistes – du moins ceux qui s’opposent au flot de la société – sont destinés à vivre misérablement et à connaître une fin tragique. Parlez-moi d’une perspective défaitiste…

 

Picasso s’identifiait à cette situation difficile, comme un portrait de 1901 le montre (celui de gauche, dans l’image ci-dessus, au début de l’article). Picasso, auto-portait, 1901). Bien qu’il n’eut que 20 ans quand il réalisa ce tableau, il se peint maigre, jaunâtre et fragile – un homme qui paraît 50 ans, plutôt qu’un artiste énergique au début de sa carrière.

 

Un spectre de bleu foncé sature le personnage et le fond devant lequel il se tient, pendant que son visage est coloré d’un bleu clair glacial, sa veste d’une couleur cobalt profonde et ses yeux bleu marine. L’impression générale dégagée de ce tableau est celle du rejet par la société d’un artiste tourmenté.

 

L’utilisation du bleu chez Picasso pour communiquer la souffrance et la désolation remonte à plusieurs sources. Il a été utilisé par les Symbolistes comme Paul Gauguin, dans ses toiles explorant des thèmes comme la destinée Humaine, emplies de bleus. Prenez en exemple « Où vas-t-on ? », dans lequel les bleus céruléens et les azure dominent la palette. Picasso était également attiré par les travaux des écrivains Romantiques, comme les histoires d’Alfred de Vigny racontant des poètes aux destins tragiques. Le personnage principal de « Stello » d'Alfred De Vigny est un poète « favorisé par les étoiles » mais tourmenté par les « démons bleus » de l’ennui.

 

Les laissés pour compte était le sujet favori de Picasso pendant sa période bleue. En plus des artistes, cela incluait aussi : les prostituées, les alcooliques, les sans-abris, et tous ceux qui bataillaient avec la vie au quotidien. Dans des œuvres comme « Mère et sa fille à côté d’une fontaine »(1901) et « Buveuse assoupie »(1902) Picasso centre le tableau sur deux femmes abjectes et solitaires. Les deux toiles ont certainement été inspirées par sa visite à la prison de Saint-Lazare, où la plupart des prisonnières souffraient de maladies vénériennes. Les corps qui courbent l’échine et la palette bleu-gris évoquent leurs difficultés journalières. Cependant, Picasso transcende leurs misères en les habillant de capes qui ressemblent à celle de la vierge Marie.

 

D’autres toiles, comme « Femme qui repasse »(1901), représentent des personnages dépourvus de tout, qui accomplissent des tâches familières. Les spécialistes de l’art ont suggéré que Picasso aurait pu utiliser ces œuvres en réponse à un problème qui le tourmentait pendant ses jeunes années : le mauvais traitement des classes ouvrières durant la révolution industrielle.

 

La fin de la période bleue de Picasso

Dans ses peintures les plus connues de la période bleue, Picasso revient néanmoins à son engagement d’artiste. « La vie »(1903) nous ramène à un studio d’artiste. Bien que les versions précédentes de l’œuvre, révélées par les examens sous rayons x des strates cachées de la peinture finale, nous montre Picasso comme figure centrale, il finit par peindre Casagemas comme personnage final. Il est nu, à part pour un slip, et une femme nue la serre dans ses bras, les deux regardants une femme et son enfant. Derrière eux, on peut voir deux toiles avec des personnages repliés sur eux-mêmes.

 

Tous les éléments de la scène rappellent la vulnérabilité. L'artiste ramène plusieurs facettes de ses problèmes dans une seule toile : la pauvreté, le rejet, l’angoisse créative et le chagrin des êtres perdus, comme Casagemas. De manière intéressante, l’analyse aux rayons x révèle que le tableau a été peint sur une autre peinture qui s’appelle « Derniers moments », inspirée par la mort de sa sœur.

 

Peut-être qu’en réunissant ces moments difficiles ensembles, Picasso était en vérité en train de terminer son deuil et sa période de blues. En réalité, peu de temps après avoir terminé « La vie », il déménagea à Paris et sortit de sa période bleue – pour passer à une période de roses légers et joyeux. Il expliquera plus tard que « Les couleurs, comme les sujets, suivent le rythme des émotions ».

 

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